Goodie Mob – Soul Food [1995]

TRACKLIST : (prod. Organized Noize)
1- Free
2- Thought Process
3- Red Dog (skit)
4- Dirty South (ft. Big Boi)
5- Cell Therapy
6- Sesame Street
7- Guess Who
8- Serenity Prayer (skit)
9- Fighting (co-prod. Mixso)
10- Blood (skit)
11- Live At The OMNI
12- Goodie Bag
13- Soul Food
14- Funeral (skit)
15- I Didn’t Ask To Come
16- Rico (skit)
17- The Coming
18- Cee Lo (skit)
19- The Day After

Lorsque Big Gipp, T-Mo, Khujo et Cee-Lo, les quatre MC’s de Goodie Mob (acronyme de Good Die Mostly Over Bullshit, « les bons crèvent souvent pour des conneries »), sortent leur premier album « Soul Food » en 1995, ils n’ont certainement pas conscience de son retentissement futur au sein de l’industrie musicale.
Ce disque est en premier lieu la confirmation du talent de la team Organized Noize qui innove dans la production hip hop depuis le premier album d’Outkast (« Southernplayalisticadillacmuzik », sur lequel les membres de Goodie Mob se distinguent déjà) en proposant des sons originaux faits d’arrangements live rappelant la soul 70’s du label Stax, et d’un funk gras parsemé de bruits étranges donnant à l’ensemble une structure décalée.
Goodie Mob réussit avec ce disque à placer durablement le « dirty south » (terme qu’ils popularisent et qui désignera un style musical à part entière) sur la carte du rap américain. Atlanta (leur ville d’origine) se pose alors comme une alternative sérieuse aux deux géants, New-York et Los Angeles, grâce au succès des artistes du label LaFace. Outkast et Goodie Mob atteignent le million de ventes et inspirent cette scène sudiste qui influence tant l’industrie rap d’aujourd’hui, notamment dans son rejet de l’utilisation de samples au profit de sons plus personnels, mais surtout libres de droits d’auteur.
Enfin, cet album révèle les multiple capacités de Cee-Lo dont la voix nasillarde sort du lot (par contraste avec les flows plus hardcores de ses compères) et prend toute son ampleur lorsqu’il laisse son background gospel s’exprimer (Danger Mouse, DJ protéiforme new yorkais, l’exploitera à merveille dans Gnarls Barkley).

C’est d’ailleurs par ce côté « spirituel » que l’album démarre puisque « Free » nous emporte par sa douce mélodie et ses suppliques à Dieu, soutien des habitants du ghetto dans les épreuves du quotidien. L’un des paradoxes du rap américain s’exprime ici à plein, entre histoires sordides de flingues et de deal et respect d’une religion qui semble guider les rappeurs à chaque instant. Cette ferveur caractéristique des USA, en particulier dans les états du sud, et ce décalage, se retrouve sur la pochette (l’originale était un détournement de la marque Tabasco) où l’on voit les quatre rappeurs prier (Cee-Lo étant le seul, fils de pasteur oblige, à ne pas implorer Allah) dans un restaurant. Cette alliance entre nourriture et spiritualité pourrait surprendre si le titre du disque n’était « Soul Food », rappelant non seulement une gastronomie typique du sud des USA alliant influences créoles, africaines et européennes, mais aussi que le rap est en quelque sorte une nourriture de l’esprit pour les exclus du système scolaire.

Le succès du disque s’explique par ce mariage entre ambiance racailleuse et attitude pieuse, entre vibe soul et sonorités crues, mais aussi parce que les thèmes développés sont frappés du sceau de la conscience sociale.
Ainsi « Thouht Process », avec ses bruits de baisers et ses voix féminines, prône l’unité pour surmonter les obstacles de l’existence. Puis le beat dépouillé de « Dirty South » fait l’apologie d’un style de vie hédoniste, à base d’herbe à fumer, de femmes faciles et de belles voitures, qui n’empêche pourtant pas les embrouilles criminelles. « Cell Therapy », sur quelques accords d’un piano fatigué et un beat sautillant, affirme ensuite que la vie dans les grands ensembles immobiliers est une sorte d’esclavage moderne, système isolationniste dans lequel les plus riches s’enferment pour ne plus voir la misère des moins fortunés.
Dans un style plus énervé, avec ce flow saccadé caractéristique et un instru tout en retenue, « Sesame Street », aborde un thème semblable, fustigeant une société qui prône la fraternité chaque fin d’année mais qui stigmatise toute une partie de sa population (en général la plus basanée) en la surveillant sans cesse et en l’excluant économiquement de la vie du pays. Le fascisme bien-pensant en prend ici pour son grade. « Guess Who » évoque ensuite, grâce à la mélancolie d’un piano entêtant, les familles mono-parentales, victimes du divorce ou, plus dramatiquement, de l’emprisonnement des pères noirs, population largement majoritaire des prisons américaines. Le groupe rend hommage ici au courage des mères esseulées ainsi qu’aux grands frères remplaçant souvent leurs géniteurs, perdant de ce fait une partie de leur jeunesse.
De même, « Fighting » et « Live At The OMNI » dans des styles à la fois sombres et tranquilles, affirment la combativité du groupe, solidaire de leurs camarades embourbés dans les soucis quotidiens du ghetto. Puis, par un sample de cordes orientalisant, nous voilà plongés dans l’atmosphère enfumée de « Goodie Bag » pour souligner le côté légèrement psychotique de ceux qui abusent du THC. « Soul Food » dans une ambiance gentiment funky fait alors l’apologie du mode de vie du Sud profond, une nouvelle fois entre recherche du plaisir et spiritualité. Mais « I Didn’t Ask To Come » contrebalance ce moment d’accalmie avec ses violons funèbres, en exprimant le fatalisme du groupe face à la violence « ordinaire ».
Pour finir, Goodie Mob laisse son goût pour le ragga s’exprimer dans « The Coming » et  termine avec les choeurs féminins déchirants de « The Day After ».

Un album plus que correct sortira trois ans après celui-ci (« Still Standing ») mais le reste des productions de Goodie Mob est désormais fortement influencé par ce dirty south qu’ils ont contribué à populariser. Ce genre extrêmement prolifique est devenu une caricature de lui-même et noie dans la masse des MC’s pourtant doués au micro. Aujourd’hui le groupe au complet n’est plus en activité mais on peut retrouver certains de ses membres sur les compilations de leur crew Dungeon Family.
Leur coup de maître reste pourtant sans conteste ce « Soul Food » à l’ambiance si particulière oscillant entre résignation béate et volonté de croire que le chemin suivi est le bon…

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