Gravediggaz – Niggamortis [1994]

TRACKLIST : (prod. Prince Paul)
1- Just When You Thought It Was Over (intro)
2- Constant Elevation
3- Nowhere To Run, Nowhere To Hide
4- Detective Trip
5- Two Cups Of Blood
6- Blood Brothers (prod. Fruitkwan)
7- 360 Questions (skit)
8- 1-800 Suicide
9- Pass The Shovel
10- Diary Of A Madman (ft. Sunz Of Man) (co-prod. RMS/RZA)
11- Mommy, What’s A Gravedigga ?
12- Bang Your Head
13- Here Comes The Gravediggaz (prod. Mr Sime)
14- Graveyard Chamber (ft. Sunz Of Man) (prod. RZA)
15- Deathtrap
16- Six Feet Deep (prod. Gravediggaz)
17- Rest In Peace (outro)

La transposition des thématiques morbides le plus souvent réservées au rock, dans le monde du hip hop, n’est pas une évidence. Pour preuve, le style que fonde Gravediggaz (les « fossoyeurs » en français), baptisé horrorcore par les médias, fera long feu, ne dépassant pas le cadre des quelques groupes qui suivront le même chemin,
Pourtant, le succès plus récent de Necro prouve que l’on peut allier esthétique gore et ambiances urbaines avec succès, à condition de s’adresser à un public caucasien. Cette ghettoisation culturelle ajoutée à la religiosité, réelle ou supposée, de la communauté afro-américaine, explique pourquoi Gravediggaz, ridiculement accusé de satanisme, fut rejeté par le public hip hop et qu’on ne lui ait pas accordé ce qui semble normal chez des métalleux comme Slayer. Aux Etats-Unis, le discours d’un artiste semble donc être soumis à sa couleur de peau.

Ce disque à la carrière tardive, survenue après le succès d’un deuxième album plus consensuel (« The Pick, The Shovel, The Sickle » sorti en 97) et porté par la notoriété de RZA, producteur du Wu-Tang alors au sommet, mérite mieux qu’une simple analyse sociologique. Les Gravediggaz y montrent qu’ils ne sont pas des débutants (tous ont déjà eu des démêlés avec le label Tommy Boy) et qu’ils savent mettre en scène leur musique pour renforcer son impact. Ainsi, chaque membre revêt une fonction symbolique inspirée de la mythologie égyptienne. Poetic est la faucheuse (Grym Reaper) menant les âmes défuntes aux vétérans du groupe Stetsasonic, Prince Paul (le croque-mort) et Frukwan (le gardien des portes), avant que ceux-ci ne les proposent à RZA, le résurrecteur. Le superbe artwork noir et blanc parsemé de taches de sang appuie encore cette imagerie digne des productions de metal extrême.
Ce mélange des genres passe mal à l’époque, notamment pour leur label qui change le titre original de l’album, « Niggamortis » (jeu de mots sur Rigor Mortis, « rigidité cadavérique ») devenant « 6 Feet Deep » pour le public américain.
On peut définir trois catégories de morceaux sur ce disque, chacune laissant s’exprimer les têtes pensantes du groupe. Certains possèdent une basse enlevée et accompagnée de cuivres assez classiques (« Nowhere To Run ») influencés par le old timer Prince Paul, tandis que d’autres sont plus dépouillés comme « Constant Elevation » dont le beat au piano désaccordé est découpé par RZA. Enfin, Gravediggaz échappe à l’écueil du super-groupe sans cohésion, lorsque s’unissent les talents des deux producteurs, à l’image de « Detective Trip »  où un jazz en rupture se marie à merveille à des scratches tranchants sur fond de guitares hypnotiques.
Les morceaux à l’ambiance lourde sont en outre ceux qui donnent toute leur ampleur aux flows si particuliers des rappeurs. Lorsqu’ils jouent les vampires (dans un « 2 Cups Of Blood » parcouru des cris d’une horde de rats), quand ils énumèrent les différentes méthodes suicidaires (« 1-800 Suicide », sorte de « hotline létale » dont le clip sera censuré, alliant un clavier tout en retenue à des lyrics sans équivoque et un refrain samplé chez Just Ice) ou encore lorsque « Pass The Shovel », sur une basse sautillante, hésite entre allégorie à la fumette et défi aux ennemis que Gravediggaz cherche à enterrer.
Dans une atmosphère de film d’épouvante, « Diary Of A Madman », morceau le plus marquant du disque, voit les Gravediggaz décrire, face à un tribunal corrompu, les meurtres commis sous l’influence de démons, défense qui ne les empêchera pas de griller sur la chaise électrique.
Après l’intermède relax de « Mommy, What’s A Gravediggaz ? », « Here Comes The Gravediggaz » reprend un beat plus convenu pour présenter la versatilité rapologique du groupe sur des samples de rires inquiétants, RZA faisant le lien entre l’agressivité rentrée de Frukwan et l’hystérie maîtrisée de Poetic. « Graveyard Chamber » permet ensuite à RZA d’imposer sa patte par cette couleur sonore très brute qui fera le succès du Wu-Tang (idem pour « 6 Feet Deep » dont le refrain deviendra un gimmick pour le groupe).
Pour finir, « Deathtrap » décrit le ghetto comme un univers horrifique que l’on sait malheureusement parfois tout à fait réaliste. Sur une composition étrange, comme émergeant d’un puits sans fond, Gravediggaz promet que les meurtriers de prostituées ne subiront pas le même sort que les pédophiles expédiés en Enfer par la hache de RZA. Paradoxe d’une société américaine machiste et puritaine qui ne supporte évidemment pas qu’on touche aux enfants mais où certaines femmes méritent d’être châtiées pour leurs « péchés ».

« Niggamortis » marquera donc durablement les esprits puisqu’il engendre un style à lui tout seul, qu’il réunit des légendes du hip hop (MC Serch de 3rd Bass, Masta Ace ou Biz Markie font également des apparitions discrètes) et qu’il fit polémique. RZA prendra rapidement le pas sur ses camarades en réalisant le deuxième album puis abandonnera le groupe tandis que Prince Paul s’enfermera peu à peu dans des projets obscurs. Poetic meurt d’un cancer au moment où sort le très honorable troisième opus (« Nightmare in A-Minor »), laissant Frukwan poursuivre un peu pathétiquement l’aventure Gravediggaz. L’oubli aura eu plus sûrement raison de ce crew que les pièges du business ou la censure…

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