MC Solaar – Qui Sème Le Vent Récolte Le Tempo [1991]

TRACKLIST : (prod. Jimmy Jay & Boom Bass)
1- Intro
2- Qui Sème Le Vent Récolte Le Tempo
3- Matière Grasse Contre Matière Grise
4- Victime De La Mode
5- L’histoire De l’Art (ft. Soon E MC)
6- Armand Est Mort
7- Quartier Nord
8- Interlude (instru)
9- A Temps Partiel
10- Caroline
11- La Musique Adoucit Les Moeurs
12- Bouge De Là (pt 1)
13- Bouge De Là (pt 2)
14- Ragga Jam (ft. Raggasonic & Kery James)
15- La Devise
16- Funky Dreamer (instru)

L’histoire de ce disque est autant un conte de fée pour un rappeur jusque-là cantonné à l’underground qu’un exemple des pièges pouvant freiner toute velléité artistique aboutie.
« Qui Sème Le Vent… » est en effet l’un des plus gros succès de rap français, et pourtant, en raison de différends avec le label Polydor, le disque n’a jamais été réédité et est resté longtemps introuvable pour les collectioneurs. L’utilisation de ses morceaux est de plus extrêmement limitée du fait de Solaar lui-même, qui ne se reconnaît peut-être plus dans cette œuvre de jeunesse, ou à cause du label, mystère…
L’aura du disque s’en trouve certes renforcée mais l’on oublie trop souvent que Solaar, pionnier du rap hexagonal, a forcé le music-biz à considérer le hip hop, non seulement en rendant sa forme accessible, alliant rimes ciselées et rythmes jazzy, mais aussi en intégrant dans une structure « professionnelle » (Jimmy Jay Productions) des jeunes talents qui feront carrière. La France entière découvre alors une facette de la musique urbaine plus acceptable pour les pontes de la distribution musicale que la rage politisée d’un groupe comme Assassin.

La rencontre de Claude MC avec Jimmy Jay est ainsi primordiale. Celui-ci, vainqueur à la fois du championnat de France des DJ en 1989 et d’une belle somme au loto, investit ses gains dans un local d’enregistrement pour y réaliser les premières maquettes de Solaar (déjà remarqué sur les scènes ouvertes parisiennes ou sur Radio Nova aux côtés de Dee Nasty, parrain du hip hop hexagonal). Il ouvre également l’univers du studio à des groupes comme les Sages Poètes De La Rue, Ménélik, Sléo ou même Fabe qui marquèrent le paysage rapologique français par leurs paroles posées et la qualité de leurs instrus. Solaar s’entoure en outre de la crème des ingénieurs du son, Zdar et Boom Bass (fondateurs de La Funk Mob ou Cassius), qui épaulent Jimmy Jay à la production et sont issus de la « dynastie » Blanc-Franquart aux studios réputés internationalement, ainsi que de musiciens live pour la caution jazz.

Musicalement ce premier album tranche donc avec le « chaos » sonore pratiqué par exemple par NTM à l’époque. Jimmy Jay pose les bases de chaque morceau en samplant des groupes funk ou jazz (Cymande sur « Bouge De Là » ou Marvin Gaye pour le déprimant « Armand Est Mort »). En cela, il pérennise une certaine idée du hip hop, héritée des années Zulu Nation du duo, où le DJ joue un rôle prépondérant, surtout lorsqu’il possède la dextérité de Jimmy Jay. L’harmonie entre un habillage sonore sous forme de clin d’œil aux mélomanes en un melting-pot musical « gentillet » et les lyrics très « littéraires » de Claude MC, en rupture avec les codes hardcores du rap français, ont permis à ce cet opus de sortir du ghetto hip hop.
Pour preuve, « Qui Sème Le Vent… », après une intro veloutée, expose le projet artistique du rappeur en quelques phases sautillantes, un free-jazz déconstruit et des choeurs féminins discrets. Le funk titille alors nos oreilles dans « Matière Grasse Contre Matière Grise » pour exhorter l’auditeur à s’indigner des totalitarismes économiques ou politiques et à adhérer à l’universalisme hip hop. Puis Solaar dénonce la dictature médiatique de l’apparence qui complexe tellement certaines jeunes femmes qu’elles y risquent leur santé (« Victime De La Mode »). Il fait taire ensuite ses détracteurs dans « L’Histoire De l’Art » (liant des claviers « blaxploitation » à des scratches en cascade et aux onomatopées hystériques de James Brown) en rappelant son passé de freestyler ridiculisant les amateurs. « Armand Est Mort » évoque quant à lui l’individualisme grandissant et  l’isolement social qui rongent les grands ensembles d’habitations, conduisant à des drames devenus banals. « Quartier Nord » sature alors la rythmique dans le seul morceau réellement hardcore de la carrière de Solaar. Certes les paroles n’y sont pas aussi enlevées qu’à l’accoutumée mais notre homme y montre son aisance sur toutes les combinaisons musicales. Il le souligne d’ailleurs dans « A Temps Partiel », composition hypnotique et tranquille qui retrace l’histoire de son posse et de choix artistiques se voulant aussi personnels qu’intemporels mais nécessitant une implication de tous les instants. Il atteint parfaitement ce but avec le tube « Caroline » qui, sur un beat mélancolique et entêtant, fait passer le rap dans une autre dimension que celle de l’agression verbale. Solaar dévoile ainsi sa sensibilité à travers le souvenir d’une relation amicale ambiguë et signe un titre inoubliable. « La Musique Adoucit Les Moeurs » développe ensuite une vibe funky-latino et des lignes de chant rappelant Prince pour prôner la tolérance entre les chapelles musicales. Celle qui a touché la France lorsque les radios diffusaient le récit burlesque de « Bouge De Là » en est l’illustration. « Ragga Jam », avec les tout jeunes Raggasonic et Kery James (encore appelé Daddy Kery), met alors en évidence les racines de toaster de Solaar (la scène ragga étant bien développée tandis que le rap balbutiait encore), déjà en pointillés tout au long de l’album, et défend un pacifisme anti-militariste que l’on retrouvera plus tard dans la série des « RAS » de la Mafia K’1 Fry.
Il est amusant de constater que le disque se termine sur l’un des thèmes favoris de Solaar, l’argent, qui dans « La Devise » détruit tout (mais auquel il semble très attaché au vu des nombreuses références « vénales » du disque), y compris notre cadre de vie ou la santé de nos enfants. On pourrait se demander s’il n’est pas également responsable de la médiocrité grandissante de Solaar après un disque aussi réussi.

Fort des ventes, inédites pour le rap en ce temps-là, des singles tirés de ce premier album, Claude MC a cherché à reproduire une certaine formule à base de samples connus (« Bonnie & Clyde » de Gainsbourg pour « Nouveau Western », tiré de l’acceptable « Prose Combat ») et une multiplication parfois indigeste de figures de style déclamées d’une voix à la douceur linéaire et artificielle. Solaar est peu à peu passé de l’underground aux pages des tabloïds et à la scène des Enfoirés, entre engagement « social » et volonté de continuer à exister médiatiquement. Le système de l’entertainment a bouffé ce talent de la rime et les divergences contractuelles ont jeté aux oubliettes un disque précurseur à la fraîcheur toujours pertinente. Le grand public ne connaissant malheureusement bien souvent que la carrière récente de Solaar et ses tubes les plus matraqués en radio, son œuvre la plus sincère n’a pas toujours la reconnaissance due à un disque qui ouvrit tant de portes, celles du showbiz et de la récupération commerciale, mais aussi celles des maisons de disques pour toute une vague de groupes qui seraient difficilement sortis de l’ombre sans cette exposition soudaine…

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