Killason – Shine [2016]…ce jeune français rappant en langue anglaise pourrait être un croisement entre Pharrell, pour la versatilité des talents (il s’occupe aussi bien de chorégraphie, de design que de production musicale), et Danny Brown, pour le flow halluciné et les beats passant d’un univers dancefloor (cf. ce « Shine » au beat étrange et sautillant) à des ambiances plus sombres (« The Rize », « Black Crook ») flirtant parfois avec le Dubstep (« Hoddest in my Town »). Killason est en soi un petit évènement dans la très conservatrice scène rap hexagonale puisque la réussite artistique de son premier mini-album prouve que, même en France, les chapelles musicales peuvent être réunies avec talent sans pour autant tomber dans la mélasse formatée…
Junior Rap Videos…grâce au succès commercial du genre à la fin des 80’s, la production rap explose outre-Atlantique dans la première moitié de la décennie. Afin d’avoir une exposition plus importante au milieu de cette jungle rapologique, ou le meilleur côtoie parfois le médiocre, les labels et maisons de disques tentent par tous les moyens de se distinguer en proposant des sorties qui toucheront un public le plus vaste possible. Ainsi, et en partie pour rendre le rap moins sulfureux et accessible à toute une jeunesse contrainte par la censure (le fameux sticker « Parental Advisory » interdisant la vente aux mineurs des disques qui le portaient), une vague d’adolescents rappeurs déferle sur le monde du hip hop, avec plus ou moins de talent et de réussite.
Pour mieux appréhender ce phénomène, il nous faut distinguer plusieurs caractéristiques de ces groupes et ne pas confondre véritable démarche artistique et simple coup marketing orchestré par des producteurs aux dents longues…
Dans la playlist proposée ici, il ne faut donc pas confondre des groupes comme Da Youngsta’s, bien implantés dans la culture hip hop (Lawrence « LG » Goodman, producteur reconnu de la scène de Philadelphie est le père de deux membres du trio), auteurs de leurs propres lyrics et de certains beats (aidés en cela par la crème des producteurs, The Beatnuts, Marley Marl ou Pete Rock en tête, sur leur excellent deuxième album « The Aftermath ») et le duo Kris Kross qui mise plutôt sur des productions « pop » et un marketing très étudié (les fringues XXL portées à l’envers dans leurs clips feront des ravages dans les cours d’école de l’époque) et qui remportera un succès planétaire grâce au talent aussi bien musical que commercial de Jermaine Dupri.
De même, impossible de mettre dans le même sac, un groupe comme Quo, duo multi-racial au look très étudié qui, malgré la présence d’Erick Sermon, Redman, DJ Battlecat ou Teddy Riley à la prod, n’ont proposé qu’un seul album où la volonté de truster les premières places des charts avec des morceaux passe-partout était évidente, et Illegal, duo de jeunes MC’s dont les flows tranchants mettaient à l’amende pas mal de leurs aînés (cf. le featuring de Lil’ Malik avec Warren G sur le premier album de celui-ci où le californien se fait sans conteste voler la vedette) sur des productions hardcores distillées notamment par le DITC.
D’autres peuvent également être classés dans cette catégorie des MC’s en herbe à l’assurance microphonique déconcertante. Certains crews phares de la scène hip hop des 90’s ne s’y sont d’ailleurs pas trompé puisqu’ils ont intégré certains de ces rookies à leur écurie. Ainsi Shyheim, Chi Ali ou encore The Whooliganz (duo dans lequel le génial beatmaker Alchemist s’essaye alors pour la première fois à la scansion rappée) seront parrainés par des beatmakers de talent et seront associés à leur posse, respectivement le Wu-Tang Clan, les Native Tongues et les Soul Assassins, conjuguant alors coup marketing et réussite musicale.
Répondant au célèbre adage « la valeur n’attend pas le nombre des années », l’émergence de tous ces groupes montre la vitalité de cette scène rap des 90’s qui n’hésite pas à lancer dans le grand bain (avec une volonté commerciale plus ou moins assumée) des MC’s au potentiel énorme malgré leur inexpérience. Pourtant, on constate que ces « parachutages » n’ont pas eu de réelle pérennité puisque la plupart de ces artistes n’ont que rarement réussi une carrière florissante, broyés par une industrie de l’entertainment qui les considérait souvent comme des produits. Seuls les Da Youngsta’s proposeront plusieurs albums de qualité alors que le gâchis des carrières de Illegal ou Chi Ali (qui disparaîtront de la circulation assez rapidement malgré une maîtrise rapologique assez folle pour leur jeune âge) et la descente aux enfers d’un Shyheim qui perdit la fraîcheur de son premier album aussi vite qu’il vieillissait, désolent encore les b-boys les plus assidus…et pendant ce temps-là, en France, le public avait la joie de subir les jérémiades d’un Jordy…le décalage qualitatif entre musique pop US et « variété » européenne ne semble pas avoir tellement bougé depuis…
Jazzy Hip Hop mix : Comme son nom l’indique ce mix de 10 titres, principalement composés dans les années 90, fait la part belle aux arrangements jazzy…ainsi, les artistes choisis, tous issus de la côte est des USA, adoptent un ton langoureux à base de claviers délicats, contrebasses profondes et cuivres entêtants qui raviront les amateurs exigeants de mélodies finement ouvragées…
Scientifik – Lawtown (prod. Edo. G) [1994]
J. Rawls – Superhero (ft. Mass Influence) (prod. J. Rawls) [2001]
Royal Flush – Makin’ moves (ft. Mic Geronimo) (prod. Buckwild) [1997]
Sadat X – Sauce For Birdheads (prod. DJ Ogee) [1996]
Black Thought – Respiration (ft. Talib Kweli & Mos Def) (prod. Pete Rock) [2001]
Redman – Tonight’s da night (prod. Erick Sermon) [1992]
Jeru The Damaja – Tha Frustrated Nigga (prod. DJ Premier) [1996]
Edo. G & Da Bulldogs – I’m laughin (prod. Rythm Nigga Joe) [1993]
DITC – Day one (prod. Diamond D) [2000]
King Geedorah – Next levels (ft. Lil’ Sci/ID 4 Winds & Stahhr) (prod. MF Doom) [2000]
Ron Jon Bovi – We Get It Poppin’ (ft. Guilty Simpson) [2016]…éminents représentants de deux des pôles les plus importants du rap américain, Casual et Phat Kat, l’un issu du crew californien Hieroglyphics et l’autre, proche collaborateur de J-Dilla à Detroit, mettent aujourd’hui leur savoir-faire en commun…ainsi, sous la direction musicale et artistique du beatmaker Unjust, ils conçoivent un projet très réussi sous le nom improbable de Ron Jon Bovi…dans un disque au titre lui aussi étrange (« Neaux Mursi »), le duo varie entre deux ambiances propres à leur style de prédilection. Ainsi, certains titres (« WWYS », « Deja Vu »…) proposent une ambiance posée chère à une certaine scène d’Oakland tandis que d’autres (à l’image du titre présenté ici qui invite Guilty Simpson, comme un lien supplémentaire entre les deux MC’s en tant que natif de Détroit et signataire sur le pointu label californien Stone Throw) sont plus proches du son abrasif pratiqué dans la Motor City…la réussite de ce projet tient dans cet équilibre instable entre les deux facettes du duo, comme si une certaine schizophrénie musicale se laissait amadouer afin de nous plonger dans des sonorités certes peu faciles d’accès parfois mais équilibrées par de subtils détails sonores ne se laissant apprécier qu’au fil des écoutes…
Halfcut – Gone [2014]…troisième album (« From Dungeons to Rooftops ») en forme de compilations d’anciens titres et de freestyles pour ce MC canadien originaire de Calgary…dans un ensemble aux bases hip hop assez classiques ce rappeur au flow sans fioritures nous propose des sons rappelant d’une part les productions soyeuses de Pete Rock mais aussi celles de ses voisins de Seattle, faites de refrain chantonnés, comme dans ce titre à la douce mélancolie…
Ruste Juxx – Universal Sean [2016]…deuxième projet collaboratif entre le MC de Brooklyn et l’excellent beatmaker français Kyo Itachi, l’album « Meteorite » propose une douzaine de morceaux où l’influence du rap des 90’s se fait fortement sentir…après un premier essai un brin monolithique (« Hardbodie Hip Hop » sorti en 2012), ce disque semble compiler toutes les tendances de cette époque pour en proposer une interprétation contemporaine…ainsi les titres oscillent entre des productions austères à la DJ Premier (« Water on Mars » avec sa mélodie rappelant les samples de Bob James utilisés par Primo ou ce « Cosmic Dust » et son carillon entêtant) et des compostions plus fouillées proches d’un certain rap indé du milieu des 90’s (« Constellation », « Astronaut »)…pour compléter cet ensemble aux rythmiques qui claquent, Kyo Itachi offre au flow acéré de son compère des prods plus classiques et mélancoliques comme dans ce titre hommage au regretté Sean Price, une des figures emblématiques du Brooklyn Hip Hop…encore un coup de maître pour Kyo Itachi et son label Shinigamie Records!
SOUL ASSASSINS VIDEOS…afin de compléter le post sur ce crew si important des années 90, voici une sélection de videos qui se veut la plus exhaustive possible (excluant les albums les plus récents de Cypress Hill, bien éloignés, qualitativement parlant, de ceux sortis pendant leur période faste)…atmosphère enfumée, basses lourdes et samples poussiéreux garantis!
Children Of The Night – ILYAS [2012]…dans l’album « Queens…Revisited » le trio composé des MC’s Remy Banks, Nasty Nigel et Lansky Jones rend hommage à ce quartier new-yorkais qui a donné au hip hop certaines de ses oeuvres les plus appréciées, tout en se plaçant à la pointe de ce qui se fait de mieux ces dernières années dans la capitale US…à l’image de Joey Bada$$ et son crew, le disque propose des rythmiques appuyées très 90’s accompagnées d’arrangements planants rappelant le travail d’un J-Dilla…pourtant pas de compositions frisant l’ennui ici puisque le groupe est également influencé par les productions plus échevelées des Flatbush Zombies (d’ailleurs présents en featuring sur l’album, de même que Roc Marciano)…ainsi dans le morceau présenté ici (produit par SKYWLKR, l’un des beatmakers de Danny Brown), c’est l’ambiance poisseuse des dancefloors de la Grosse Pomme qu’ils tentent de transcrire avec ce son hypnotique des plus modernes et cette vidéo partagée entre brumes alcoolisées et délires de fêtards…
Purpose & Confidence – Unstoppable [2012]…producteur attitré de son groupe Tragic Allies (déjà évoqué ici), Purpose laisse les manettes de l’album « Purpose of Confidence » au beatmaker Confidence pour se concentrer sur son rôle de rappeur…dans un style boom bap des plus classiques, rappelant les derniers albums de Gangstarr, mêlant beats énergiques, samples bien sentis de cuivres et de violons, l’harmonie entre MC et compositeur fonctionne ici à merveille…ce disque, partagé entre mélancolie et dynamisme et conçu pour faire bouger les têtes des b-boys les plus exigeants, ravira les amateurs de titres sans prétention et finement ouvragés…
Del & Tame One – Flashback [2009]…au premier abord la combinaison entre Del, issu de la créative scène d’Oakland, Californie, et Tame One, ardent défenseur d’un hip hop rigoureux et adepte assidu de graffiti dans les ruelles crasseuses de son New Jersey natal, pouvait sembler improbable…en y regardant de plus près, ils partagent pourtant des parcours similaires (« Parallel Uni-verses » affirme le titre du disque) puisque leurs débuts (respectivement avec le collectif Hieroglyphics et le groupe Artifacts) sont marqués par leurs illustres cousins, Ice Cube pour l’un et Redman pour l’autre…cette parenté leur a certes ouvert quelques portes au début des 90’s mais devint rapidement encombrante, car trop souvent soulignée par les médias, pour des artistes qui chercheront ensuite à s’en détacher quitte à s’enfermer parfois dans des expérimentations peu convaincantes…cette relative intransigeance, et malgré des sorties plutôt inégales, leur garantit toutefois une cote importante auprès de cette frange de la communauté hip hop attentive aux démarches sincères…après des années à se croiser dans les différents événements hip hop à travers le monde (à l’image de cette vidéo tournée dans un festival à Brooklyn), les deux MC’s décident de travailler sur un album commun et en confient la conception sonore au beatmaker Parallel Thought…celui-ci leur concocte des instrus à la mesure des ces deux amateurs de rimes à la fois surréalistes et lucides en empilant violons soul (« Keep It Up », « We Taking Over »), guitares hypnotiques (« The Franchise », « Specifics »), sonorités proches du trip hop anglais (« Gaining Ground ») ou arrangements à base de samples funk jazz plus traditionnels (« Teddy », « Special ») et de basses rondes (« Before This » ou ce « Flashback » à la rythmique old school)…dans un album concis à l’ambiance désenchantée (face à un hip hop perverti par la recherche constante du succès) rappelant les productions Def Jux, symbolisée par l’excellent « Life Sucks » et son clavier lancinant, les beats proposent une certaine emphase agencée avec suffisamment de finesse pour ne pas paraître pompeuse…ce travail de production particulièrement réussi permet à l’alchimie entre les deux MC’s d’opérer de façon magistrale et fait de ce « Parallel Uni-Verses » un album qui pourrait aisément être rangé dans la catégorie des classiques de la musique rap…