Redman – Whut?! Thee Album [1992]

TRACKLIST :  (prod. Erick Sermon & Redman)
1- Psycho Ward (skit)
2- Time 4 Sum Aksion
3- Da Funk
4- News Break (skit)
5- So Ruff
6- Rated R
7- Watch Yo Nuggets (ft. Erick Sermon)
8- Psycho Dub (skit)
9- Jam 4 U
10- Blow Your Mind
11- Hardcore (prod. EPMD/Mr Bozack)
12- Funky Uncles (skit)
13- Redman Meets Reggie Noble
14- Tonight’s Da Night
15- Blow Your Mind (remix)
16- I’m Bad
17- Sessed One Night (skit)
18- How To Roll A Blunt
19- Sooper Luver Interview (skit)
20- A Day Of Sooperman Lover
21- Encore

Redman est l’un des rappeurs US qui possède le flow le plus versatile de ces 20 dernières années, ramenant le MC à son rôle de performer linguistique. « Whut? Thee Album » marque l’avènement de ce talent car sur ce premier effort, Redman nous offre probablement sa meilleure prestation.
Cette réussite n’est pourtant pas qu’une aventure solo puisqu’elle met aussi en lumière les capacités de producteur d’Erick Sermon (la moitié d’EPMD) pour son crew, le Def Squad, dont Redman sera le fer de lance après des featurings remarqués sur les albums de ses mentors, sa signature chez Def Jam et les succès commerciaux présents sur chacun de ses disques. Cet opus est le fruit d’une collaboration très étroite entre les deux hommes (Sermon l’hébergera même pendant plusieurs mois après que Redman a été viré de chez lui), chacun apportant son savoir-faire à l’autre.
Mais Redman n’est pas un pantin entre les mains d’un producteur, il participe activement à la conception musicale de cet album. Le son EPMD, parfois un peu daté avec ses refrains newjack et les flows old school de Sermon et Parrish, est ici plus catchy, dopé par la fougue juvénile de Redman.
Les deux artistes se retrouvent sur un point : leur amour du funk le plus pur, celui qui allie des basses supersoniques à des lignes de chant naïves. Ainsi Redman, qui se fait encore appeler le Funk Doctor Spock, laisse sa verve en liberté sur des instrus P-Funk où les références samplées empruntent aux vieilles gloires que sont Parliament, Zapp ou The Gap Band, influences de toute une génération de beatmakers, notamment sur la côte Ouest. Entrainé par les harmonies de ses illustres prédécesseurs, Reggie Noble (véritable nom, crédité comme producteur, du rappeur schizo Redman) aux yeux rougis par ses expériences cannabiques, martyrise le micro de sa voix protéiforme. Seul le délire anime notre homme ici : si une quelconque portée sociale se dégage d’un morceau, elle sera tournée en dérision, comme lorsqu’il aborde le thème du sida et qu’il interpelle son auditoire en dédramatisant le problème au détour d’une blague potache. L’humour de Redman est en outre un très bon moyen pour atténuer la déflagration sonore produite par Sermon.

Pourtant jamais Redman n’a réalisé de disque aussi « hardcore » et pour preuve, « Time 4 Sum Aksion » ouvre l’album sur les chapeaux de roues en alliant un sample vocal de Cypress Hill à une basse énorme et un rythme implacable, avant que les BPM ne se calment avec ce « Da Funk » paisible où Redman vogue vers le spoken word. Mais c’est avec « So Ruff » que le funk prend toute son ampleur dans une instru ultra simple faite d’une basse saturée jusqu’aux limites des capacités des boomers et un beat clappé, version old school des rythmes modernes plus « aigus ». Passez ce morceau dans n’importe quelle soirée et voyez les têtes se mettre à se balancer en cadence…

Bien que le sommet de l’album intervienne assez tôt, les bons moments sont encore nombreux. Sermon y va de son petit couplet sur « Watch Yo Nuggets » (et la comparaison des flows laisse Redman seul maître du ring rapologique), porté par le « Atomic Dog » de George Clinton. Puis « Jam 4 U » associe un piano fatigué à un clavier tout aussi cheap avant d’enchaîner avec l’énorme rythmique de « Blow Your Mind » sur laquelle Redman se met à rapper en coréen sans que son flow en soit affecté. Le refrain est quant à lui typique des prods EPMD avec ce feeling newjack qui sera encore accentué dans un remix quelques tracks plus tard.
« Redman Meets Reggie Noble », voit s’affronter au micro les deux alias de notre homme dans d’incessants changements de timbre de voix.  « Tonight’s Da Night » calme alors les ardeurs du MC sur une instru soul à souhait aux cuivres étouffés, piano lancinant et choeurs éthérés. Mais le naturel rentre-dedans de Redman revient sur « I’m A Bad » avec son passage à rebours et sautillant rappelant des instrus jungle comme si Redman avait dérapé hors du beat pour mieux y revenir et nous enseigner les différentes façons de se retourner la tête avec des blunts (cigare évidé et rempli d’herbe pure) dont Reggie est friand (« How To Roll A Blunt »). La conclusion du disque se fait par un morceau complètement barré (« A Day Of Sooperman Lover »), premier d’une série que l’on retrouve sur tous les albums de Redman (reprenant le principe des « Jane » de EPMD) et qui montre sa capacité à chevaucher n’importe quel beat, qu’il soit tranquille ou funky.

Après une telle performance, artistique et commerciale (l’album est certifié or en 93), Redman réalise encore deux bons albums (le dépressif « Dare Iz A Darkside » et le plus inégal « Muddy Waters »), toujours sous la houlette de Sermon. C’est d’ailleurs sur ce dernier disque que la connexion se fera avec son pote de fumette Method Man devenu depuis un partenaire aussi bien au micro (avec l’album « The Blackout ») qu’à l’écran (« How High »).
Redman se laisse ensuite happer par l’industrie du showbiz. Son flow, capable de faire vibrer n’importe quelle foule, reste pourtant intact sur ses derniers disques, raison pour laquelle il réalise des featuring bien payés donnant ainsi une couleur street à des artistes mainstream. Mais les instrus qu’il propose désormais paraissent bien pâles au regard de la furie funk  de « Whut? Thee Album » qui fera entrer l’album au panthéon rap du magazine The Source…

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