Bahamadia – Kollage [1996]

TRACKLIST : (prod. DJ Premier & Guru, *prod. Da Beatminerz)
1- Intro
2- WordPlay
3- Spontaneity*
4- Rugged Ruff
5- Interlude
6- I Confess (prod. NO Joe)
7- UKNOWHOWWEDU (prod. Ski)
8- Interlude*
9- Total Wreck
10- Innovation*
11- Da Jawn (prod. The Roots)
12- Interlude*
13- True Honey Buns
14- 3 Tha Hard Way
15- Biggest Part Of Me (prod. NO Joe)

Dans le monde éminemment machiste du hip hop, il fallait des qualités rapologiques remarquables et reconnues pour être bien entourée, musicalement parlant. De même, réaliser un classique du genre dès son premier opus n’est pas donné à tout le monde et la native de Philadelphie semble gérer cette situation avec une nonchalance lucide.
Jusque-là, la présence de femmes dans les différentes écuries hip hop n’était bien souvent acceptée que pour toucher un public plus large et ne mettait que rarement en lumière les éventuels talents rapologiques des protagonistes. Pourtant, petit à petit, certaines sortent leur épingle du jeu à l’image de Queen Latifah qui construisit solidement son crew (Flavor Unit) grâce à sa forte personnalité et le conduisit vers le succès. Mais cet exemple de réussite reste assez rare et met en lumière la difficulté pour la gent féminine de se faire accepter par une communauté hip hop friande de filles écervelées et peu farouches. L’intelligence déployée par celles qui écrivent des rimes n’étant pas toujours du goût de certains mâles aux réactions néandertaliennes, le cercle des femmes MC’s reste toujours aussi exigu de nos jours.

Mais dans cet « âge d’or » du hip hop US que fut le début des 90’s, tout semblait possible, le monde du rap féminin, enfin réellement pris au sérieux, s’était trouvé une championne presque totalement affranchie de l’influence masculine (Ladybug du groupe Digable Planets en fut un autre exemple mais officiait dans une structure mixte). Car la qualité principale de Bahamadia n’est ni sa plastique (seul intérêt des femmes dans le hip hop pour certains producteurs peu scrupuleux), ni sa hargne (raison du succès de certaines de ses collègues comme MC Lyte) mais bien sa maîtrise rapologique.
L’impression de platitude due à la voix un brin monocorde de Bahamadia qui transparaît à la première écoute est bien vite oubliée lorsqu’on tend mieux l’oreille. Les intonations de la rappeuse, et son élocution parfaite rappelant les flows old school des 80’s, s’adaptent aux rythmes qu’elle chevauche, de la cascade de métaphores noyant le beat très basique de «Wordplay» au flow sans cesse rebondissant de l’énergique «Rugged Ruff» en passant par la déconstruction du discours dans le psychédélique «Innovation».
Certains des meilleurs beatmakers de l’époque ne s’y sont pas trompés et lui ont offert des instrus ciselés pour faire honneur à sa science de la rime. Ainsi les Beatminerz, responsables des meilleurs albums du Boot Camp Click, le old timer Ski, NO Joe (responsable des titres les plus « soulful » de l’album) ou The Roots (dont le travail de production commençait à se faire connaître et que l’on retrouve en featuring sur le beat saccadé de «Da Jawn» ou comme inspiration du très laidback « UKNOWHOWWEDU »), se sont mis au service de la voix lancinante de Bahamadia pour proposer des titres à l’ambiance ouatée mais au rythme souvent soutenu («Spontaneity» en tête, qui alterne samples hypnotiques et refrain chuchoté).
Mais c’est à travers sa collaboration avec le duo DJ Premier/Guru au sein de la Gangstarr Foundation (et sa participation à l’éphémère label de Guru, Ill Kid Records) que Bahamadia se fera connaître. Seule femme du crew, elle se distingue également par un discours plus réfléchi et moins porté sur les histoires de rue que celui de ses confrères (cf. la douce mélodie de « Biggest Part Of Me » évoquant la maternité). Paradoxalement, le célèbre duo concocte ses beats parmi les plus hardcores de sa carrière, pour une femme. Ainsi «3 Tha Hard Way» ou « Total Wreck », construits autour de rythmiques bulldozer et de samples stridents, ne présentent pas les nuances jazzy auxquelles DJ Premier semble parfois cantonné.
A la différence de nombreuses rappeuses qui sont le jouet de leur producteur, Bahamadia possède une personnalité très affirmée et impose le respect par son style inimitable et ses rimes travaillées. Cette adepte du « name dropping » (ses influences semblent aller de Salt-N-Pepa à D’Angelo) et des textes à tiroir, aborde avec finesse les relations humaines aussi bien que la pratique d’un art (l’écriture rimée) qu’elle exerce avec aisance malgré sa complexité .
A cause de cette apparente facilité technique, les médias en ont fait une «intello» au sein du rap game, comme si une femme se devait d’avoir des capacités intellectuelles particulières pour avoir le droit de travailler avec la crème des producteurs. A l’image de De La Soul qui refusa l’étiquette «alternative» collée par les médias après leur premier album, Bahamadia s’est peu à peu mise en retrait pour s’enfermer dans une logique underground et poursuivre sa passion du deejaying, domaine dans lequel elle excelle également. Cette envie de rester dans un contexte purement hip hop et d’avoir le même traitement esthétique que ses confrères, loin des clichés élitistes ou mercantiles, montre l’engagement jamais démenti de Bahamadia dans le mouvement. «Kollage» est un témoignage exemplaire de cette démarche avec ses titres sans concession côtoyant les rythmiques les plus douces et influencera toute une génération de rappeuses (Stahhr par exemple) voulant se débarrasser de l’encombrant et cupide paternalisme qui bride le rap au féminin…

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