Digable Planets – Blowout Comb [1994]

TRACKLIST : (prod. Digable Planets)
1- The May 4th Movement
2- Black Ego
3- Dog It
4- Jettin’
5- Borough Check (ft. Guru)
6- Highing fly
7- Dial 7 (Axioms of Creamy Spies)
8- The Art of Easing
9- KB’s Alley
10- Graffiti (ft. Jeru The Damaja)
11- Blowing Down
12- 9th Wonder
13- For Corners

Le jazz-rap (Acid-Jazz pour les Britanniques) fit couler beaucoup d’encre au début des 90’s et hurler aussi bien les adeptes du hip hop que ceux du jazz. A l’époque, dans un souci de catégoriser (ghettoiser diront certains) le rap et de le rendre moins « effrayant », les médias mirent en avant l’une de ses composantes essentielles, à savoir le sampling de standards jazz par des producteurs tels que DJ Premier ou Pete Rock. Pour cela  fut créé de toutes pièces un genre nouveau, soutenu par des labels jazz comme Blue Note, plus accessible pour un public étranger aux considérations racailleuses ou revendicatrices des rappeurs afro-américains. De plus, et sans savoir réellement si cette étiquette nouvelle en est responsable ou si les groupes avaient déjà cette configuration, des musiciens live firent leur apparition aux côtés de certains rappeurs, que ce soit en studio ou sur scène.

Au même titre que les Dream Warriors, Guru (via son projet Jazzmatazz), les Brand New Heavies (avec leur album de collaborations rap), US3 ou même MC Solaar, les Digable Planets sont pris dans cette effervescence. Ainsi Doodlebug, Ladybug (une des rares rappeuses reconnue pour ses talents rapologiques et non uniquement pour sa plastique) et Butterfly (le principal compositeur) connurent un succès fulgurant dès leur premier effort, « Reachin’ : A New Refutation Of Time & Space ». Sorti en 1993 et rapidement certifié disque d’or, notamment grâce aux singles « Rebirth of Slick (Cool Like Dat) », « Where I’m From » ou « Nickel Bags », cet album se démarque de la scène rap dominée alors par le G-Funk de Dr. Dre ou le rap hystérique d’Onyx. Chez les Digable Planets, la légèreté des sons et la sérénité des flows rappellent l’enthousiasme créatif des pionniers du rap associé au savoir-faire harmonique des meilleurs jazzmen.

Sur « Blowout Comb » le groupe laisse un peu de côté le free-jazz et ses rythmes syncopés ainsi que l’utilisation de samples, pour se concentrer sur des instrumentations ondulantes, le live donnant une ampleur nouvelle aux compos, influencées par la Blaxploitation des 70’s, dont les thèmes (l’affirmation d’une identité noire forte) sont partiellement repris. Dans cette perspective, le peigne qui donne son titre et sa pochette au disque, évoque ceux qui ne veulent plus cacher leur négritude par un défrisage chimique.
Se frotter musicalement aux maîtres de l’arrangement musical comme Isaac Hayes ou Curtis Mayfield n’effraie donc pas le trio qui, comme pour affirmer ses ambitions, démarre le disque par une charge de cuivres digne d’un peplum. « The May 4th Movement » (en référence aux étudiants chinois prônant, au début du 20ème siècle, une société culturellement ouverte) fait table rase du ton guilleret employé jusqu’alors en abordant la peine de mort et l’inégalité des minorités devant la loi américaine (Mumia Abu-Jamal enfermé depuis des années après un procès bâclé est cité dans le refrain). Le son s’y fait plus lourd, mariant claps funk, violons langoureux et clavier hypnotique. « Black Ego » déploie ensuite son beat saccadé et sa guitare étouffée pour pousser les afro-américains à ne pas se contenter du seul droit de garder le silence. « Dog It », reprenant cette ambiance où la rondeur des basses et la transe des claviers se chevauchent, retrace une certaine filiation musicale (de Sly Stone à Bahamadia) et évoque les paradoxes de ces jeunes activistes occidentaux parfaitement installés dans un confort mondialisé.
Deux influences majeures du crew se retrouvent ensuite sur « Borough Check » : Guru, figure tutélaire hip hop, vient poser ses rimes tandis que Roy Ayers, dont le vibraphone semble habiter l’ensemble du disque, affirme, via la reprise d’un de ses morceaux, son amour pour Brooklyn, quartier d’adoption du groupe. Puis arrive « Dial 7 », sans conteste le sommet du disque, avec son côté ouaté renforcé par des vocalises sur cuivres en sourdine et on y comprend le mode de résistance civique adopté par le groupe, empruntant aux Black Panthers et à Gandhi, d’où ce surnom de « creamy spies » (« les espions tranquilles ») illustré dans le clip.
La formule déjà éprouvée sur « Reachin’… » pointe alors le bout de son nez puisque « The Art Of Easing » amène un feeling moins oppressant, entre sitar oriental et variations délicates de piano. Dans « Graffiti » c’est le xylophone qui est à l’honneur, il y côtoie les infra-basses pour soutenir le timbre grave d’un Jeru The Damaja contemplant New York, accablé par la flemme du dimanche. La Grosse Pomme est à nouveau au centre des deux derniers morceaux. Pour faire revivre l’âge d’or du hip hop et affirmer cette influence sur les Digable Planets, « 9th Wonder » se pare de scratches saccadés et d’un habillage funky tout simple rappelant les débuts funk du hip hop. Puis, dans une actualisation de ce thème, « For Corners » propose une évocation optimiste de leur quartier, comme pour évacuer le désenchantement ambiant.

Malgré la qualité de ce disque les Digable Planets se séparent peu après sa sortie, vaquant à leurs projets personnels : en groupe pour Doodlebug (avec Cee Knowledge) et Butterfly (avec Cherrywine), en solo pour Ladybug. Ils ont un peu délaissé le pur hip hop pour le faire évoluer vers le blues, le jazz-psyché et la soul et ne sont revenus vers leurs premières amours qu’il y a peu, le temps de quelques concerts.
La vogue du jazz-rap dura assez peu, chacun réalisant que cela restait du rap, dérangeant pour l’establishment bien que posé sur du velours jazzy et trop mainstream pour les B-boys les plus inflexibles. Les groupes de cette mouvance ont soit profité du coup de projecteur qui leur était offert pour faire passer leurs messages, enrobés dans des ambiances feutrées, soit ils ont rapidement durci leur ton pour conserver la reconnaissance de la rue. La tentative d’extraire un courant rapologique au détriment des autres n’a pas fonctionné. Diviser pour mieux régner n’est pas toujours efficace…

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