Del The Funky Homosapien – I Wish My Brother George Was Here [1991]

TRACKLIST : (prod. Del/Ice Cube & Boogiemen)
1- What Is A Booty
2- Mistadobalina
3- The Wacky World Of Rapid Transit
4- Pissin’ On Your Steps
5- Dark Skin Girls
6- Money For Sex
7- Ahonetwo, Ahonetwo
8- Prelude (skit)
9- Dr Bombay
10- Sunny Meadowz
11- Sleepin’ On My Couch
12- Hoodz Come In Dozens
13- Same Ol’ Thing
14- Ya Lil’ Crumbsnatchers

Avant d’être le porte-drapeau d’un certain rap indé en signant en 2000 sur le label Def Jux, avant d’être la caution hip hop du collectif Gorillaz, avant d’être adulé du microcosme expérimental avec Deltron 3030 (collaboration avec Dan The Automator et Kid Koala), avant même d’être le fer de lance du crew Hieroglyphics à la réputation bien établie chez les connaisseurs, Del Tha Funkee Homosapien (selon la graphie originelle) est le petit cousin d’Oakland du pape du Gangsta Rap, Ice Cube. A ce titre, Del est introduit dans le milieu via le crew Da Lench Mob pour lequel il commence à écrire des textes avant que son premier album ne soit en partie produit par son illustre aînée, le reste des instrus étant assuré par Del et sa bande.
L’environnement gangsta dans lequel baigne notre homme agit comme un repoussoir sur son style qu’il définit alors en opposition aux standards de la côte Ouest. Bien que le funk soit également omniprésent dans cet opus, Del ne fait pas systématiquement appel à son énergie rythmique, il préfère en utiliser le côté humoristique et décalé pour créer des titres enjoués et accessibles. Ainsi dès ce coup d’essai, Del se démarque de la masse des rappeurs qui suivent un seul sillon musical (et qu’il fustige dans « Same Ol’ Thing »), notamment en abordant des thèmes qui paraissent anodins mais qui révèlent une vision originale de la société américaine. Tout comme à New York le second degré de De La Soul tempère l’énergie revendicative de Public Enemy, Del use de dérision pour nuancer la violence de NWA.
L’ambiance est par conséquent plus légère que sur la majorité des productions West Coast des 90’s, même si les influences restent les mêmes. Ainsi Georges Clinton (dont les royalties issues du sampling se sont démultipliées avec l’explosion du Gangsta Rap), à qui le titre du disque est dédié, semble être le guide spirituel de Del de par ses inventions sonores pour les groupes Parliament et Funkadelic. Et notre homosapien d’utiliser les mêmes recettes : la basse ample de « What Is A Booty », dans le plus pur style P-Funk, soutenant un clone mimant la voix chaude du Dr Funkenstein, le thème sautillant de « Dark Skin Girls » où Del se moque des clichés colportés sur ces femmes noires qui seraient d’autant plus superficielles qu’elles ressemblent à des blanches, « Dr Bombay » qui adapte au ton hip hop la folie de Clinton, avec ses choeurs cheap et ses voix passées au vocoder, ou encore l’atmosphère lancinante et enfumée de « Sunny Meadowz » transformant le ghetto en une verte prairie.

Les sujets développés au long de ces 14 titres sont par ailleurs tout aussi variés que les différentes couches d’instruments samplés.
Les transports en commun sont accusés de tomber dans des failles spatio-temporelles, évitant ainsi soigneusement les quartiers déshérités (« Wacky World Of Rapid Transit »), les groupes de danseurs dont l’activité dénuée de revendications est assez bien vue des autorités, sont humiliés dans « Pissin’ On Your Step ». Plus loin, le beat soutenu de « Money For Sex » dénonce la pression sociale poussant les jeunes filles à la prostitution en leur faisant croire qu’un individu ne se définit que par la taille de son compte en banque. Les jeunes hommes, eux, cherchent leur identité en adoptant un style qu’ils pensent conforme à leurs racines africaines (« Ahonetwo, Ahonetwo »), comme si porter des dreadlocks estompait la spoliation des descendants d’esclaves par la classe dirigeante contemporaine, fille d’esclavagistes. Del rebondit avec humour sur le thème de la génération sacrifiée dans « Sleepin’ On My Couch » qui le voit se débattre avec ses amis squatteurs car trop désœuvrés (ou découragés par une culture institutionnalisée de l’échec) pour espérer trouver un appart. Pour finir, « Hoodz Come In Dozens », avec ses guitares wah-wah, critique ceux qui singent le Gangsta Rap authentique, celui où les MC’s sont « acteurs » de leurs histoires. Del les accuse d’en faire une mode elle-même montée en épingle par les médias, propulsant ainsi le hip hop vers une uniformisation et une médiatisation décrédibilisantes qui coupent les artistes de ceux qu’ils voulaient représenter.
Après le succès de ce disque (boosté par le single « Mistadobalina »), lassé d’être montré comme le prototype du rappeur bien sous tous rapports (à l’image des Native Tongues), Del se renferme sur lui-même pendant quelque temps pour adopter un style plus grave (l’album « No Need For Alarm ») ou carrément déstructuré (« Both Side Of The Brain ») qui ne connaîtra pas le même destin, auprès du grand public du moins, l’underground ayant, lui, gardé Del dans ses petits papiers.

Les médias ne se sont, pour la plupart, attachés qu’au côté « frivole » des mélodies de Del, oubliant la finesse de ses textes surréalistes au cynisme souriant qui évoquent, sans effrayer l’auditeur (meilleur moyen de changer les mentalités en douceur), l’abandon des ghettos et de leurs habitants par les institutions publiques (à l’image de nos banlieues hexagonales). Ce traitement un brin condescendant des médias, associé à une envie irrépressible de faire une musique intelligente a donné à la planète hip hop un artiste lucide sur son époque et ses pairs, toujours en recherche d’innovation parce que ne voulant plus être enfermé dans un carcan commercial et formaté…

A ECOUTER AUSSI : COOLIO – It takes a thief [1994]/KAM – Neva again [1993]/THE PHARCYDE – Bizarre 2 the pharcyde [1992]

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