TRACKLIST : ( produit par Joe « The Butcher » Nicolo & Oatie Kato)
1 – We got freaks (intro)
2 – Typical American
3 – Hangerhead is born (skit)
4 – Watcha got is watcha gettin’
5 – Columbus boat ride (skit)
6 – R U down wit da goats
7 – Cumin’ in your ear
8 – Noriega’s coke stand (skit)
9 – Got kinda hi
10 – Unodostresquattro
11 – Georgie Bush kids (skit)
12 – Wrong pot 2 piss in
13 – Hip-hopola
14 – Leonard Peltier in a cage (skit)
15 – Do the digs dug?
16 – Carnival cops (skit)
17 – TV cops
18 – Tatooed lady (skit)
19 – Tricks of the shade
20 – Not not bad
21 – Rovie Wade, the sword swallower (skit)
22 – Aaah d yaaa
23 – Drive-by bumper cars (skit)
24 – Burn the flag
25 – Uncle Scam’s shooting gallery (skit)
Il fut un temps où le rap intelligent n’était pas ennuyeux à force de didactisme lénifiant. Les groupes politisés du début des 90’s ne se prenaient pas encore pour des prophètes et leur ambition n’était pas de devenir les nouveaux Isaac Hayes, comme dans ce rap qui fleurira à l’orée du 21e siècle. Ils savaient user de légèreté et d’humour afin de mieux faire passer leur message et ne pas lasser un auditoire à la capacité d’attention parfois limitée. The Goats fait partie de cette catégorie aujourd’hui presque disparue mais n’a pas eu la reconnaissance que son premier album aurait méritée. Car, tandis que de nos jours être un rappeur «conscient» se limite souvent à n’être pas aussi matérialiste que le rap mainstream, les Goats ont réalisé avec ce Tricks of the Shade un des disques les plus aboutis du hip hop US.Probablement que la forme adoptée par le groupe pour construire ce disque, celle d’un album-concept (appellation parfois galvaudée) aux multiples facettes, mais aussi la composition même du groupe et ses influences musicales diverses, auront fait de The Goats un OVNI aux yeux du public hip hop de base et expliquent l’oubli presque total dont il fut la victime.
En effet, The Goats cumule plusieurs bizarreries au sein du hip hop américain : il est composé de «vrais» musiciens (entendez qui jouent d’instruments live, chose assez répandue au sein de la scène de Philadelphie) ce qui les place d’emblée dans la catégorie médiatique des groupes «alternatifs», les éloignant un peu plus de la communauté hip hop. Les origines multiethniques du groupe perdent encore un peu plus l’auditeur US habitué à des catégories claires (et complètement stupides pour un regard européen notamment), aussi bien musicales que raciales. Certains avancent même que la surveillance méfiante du FBI (dont furent victimes NWA ou Public Enemy en leur temps) serait en partie cause de ce manque de reconnaissance. Quand on sait la vision que donne le groupe de l’Amérique de Bush senior, figurée tout au long de l’album comme une immense fête foraine (représentée dans un artwork surréaliste et naïf très réussi) où ses vices et paradoxes sont exposés sans complaisance, on comprend que le gouvernement puisse chercher à étouffer leur discours.
L’intro du disque nous invite à suivre Hangerhead et Chicken Little, visiteurs à la fois ingénus et cyniques à la recherche de leur Oncle Scam (« arnaque » en anglais) dans cet immense cirque, avant que le groupe ait affirmé sa différence avec l’Américain moyen (un « Typical American » à l’allure enlevée et ayant rencontré un certain succès underground). Les trois rappeurs, Swayzack, Madd et Oatie Kato, principal compositeur/parolier et caution politico-intellectuelle (il a suivi des études à Harvard), aux flows aussi bien sautillants (« Unodostresquattro ») que plus graves (« Tricks Of The Shade ») enchaînent ensuite les charges au bazooka en alternant les interludes burlesques mais politiquement corrosifs avec de vrais titres tout aussi virulents.
Les premiers évoquent pêle-mêle la responsabilité de Christophe Colomb, en tant que premier colonisateur du territoire, dans le génocide amérindien, le rôle plus que trouble du gouvernement US dans le maintien au pouvoir (de façon officieuse) au Panama d’un narco-traficant reconnu (« Noriega’s Coke Stand »), les partisans, aussi idiots que réactionnaires, du président Bush (« Georgie Bush kids »), l’emprisonnement scandaleux de l’activiste indien Leonard Peltier (considéré comme prisonnier politique encore aujourd’hui par Amnesty International) ou bien encore les lois hypocrites et dangereuses sur l’avortement datant des années 70 (« Rovie Wade, the Sword Swallower »).
La partie musicale du disque tire elle aussi à boulets rouges sur l’Amérique blanche mais elle le fait avec une finesse rafraîchissante (« Whatcha Got Is Whatcha Gettin », « Aah Dyaaa » avec leurs guitares acoustiques accompagnées de vocalises féminines évanescentes). La collaboration avec le producteur Joe « The Butcher » Nicolo, déjà impliqué avec les Fugees ou Cypress Hill à travers son label Ruff House, n’est d’ailleurs sûrement pas étrangère à la qualité des arrangements proposés ici. Dans un ensemble plutôt funky et uptempo où les instruments live se marient parfaitement avec une production hip hop plus classique (scratches en cascade et samples accrocheurs comme dans « Got Kinda Hi », « Do the Digs Dug » ou « Hip-hopola ») les Goats s’en prennent aux flics racistes et violents (« TV Cops ») ou aux patriotes en brûlant le drapeau US (acte considéré comme un crime aux Etats-Unis) dans « Burn the Flag ». Le reste se partage entre égotrips enfumés, vantardises de fêtards immatures et considérations sociales où le groupe tente sur un rythme effréné (« R U Down With The Goats », « Not Not Bad »…) de rendre à nouveau compte des absurdités et injustices de la société américaine avec ce recul ironique rappelant De La Soul.
Bien que ce Tricks Of The Shade ait soulevé l’enthousiasme de la critique, venue du rock notamment car elle pouvait enfin s’enthousiasmer pour du rap sans cautionner son matérialisme forcené ou l’utilisation du sampling, véritable repoussoir pour amateur de travail « live », les Goats ne survivront pas longtemps à la déception commerciale de leur premier opus. Oatie Kato ayant quitté le navire pour fonder le faiblard Incognegro, le reste du groupe, désormais plus intéressé par la fumette que par la politique, continuera les tournées avec des formations adeptes de fusion des genres comme eux (Fishbone, Beastie Boys…). Ils sortiront un deuxième album (No Goats, No Glory en 1994) où la présence d’un groupe live derrière les MC’s s’accentue encore avec la disparition quasi-totale des samples. Malgré des compositions assez réussies, ce nouveau disque plus pesant et dépouillé, plus rock aussi (avec notamment la présence des rasta/punk des Bad Brains), finira de sceller la carrière du groupe qui se séparera peu après, lassé du manque de reconnaissance et des pressions incessantes de ceux qui lui reprochaient ses propos séditieux.
Tricks Of The Shade fait partie de ces disques au destin « tragique », très ancré dans son époque avec ses instrus que certains trouveraient datés, il ne rencontra pas le succès au-delà d’un public « alternatif » restreint. En ayant parfaitement pointé les perversions modernes, en adoucissant le sérieux des propos par une musique abordable, l’album n’a certes pas changé la face du monde mais la nature humaine n’ayant elle non plus pas changé d’un pouce, il réussit le tour de force de rester pertinent plus de 20 ans après sa sortie. La masse de donneurs de leçons peuplant le hip hop contemporain ne pourra peut-être pas en dire autant…
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