The Brotherhood – Elementalz [1996]

TRACKLIST : (prod. Trevor « The Underdog » Jackson)
1- One
2- Alphabetical Response
3- Nothing In Particular
4- Mad Headz
5- On The Move
6- Goin’ Undaground
7- Punk Funk
8- You Gotta Life
9- One Shot
10- Incredible
11- Clunk Click
12- Nominate
13- Dark Stalkers
14- British Accent
15- Pride (revisited)

La primauté culturelle et médiatique accordée au rap américain masque le fait que le hip hop est international et s’adapte à tous les modes de vie, aussi bien du point de vue social (les Versaillais de Klub De Loosers n’ont probablement pas les mêmes préoccupations quotidiennes que Mysa, pour prendre des exemples connus en France) que du point de vue strictement culturel. Ainsi chaque pays, de l’Afrique du Sud au Brésil, en passant par le Vietnam ou l’Ukraine, voit une scène hip-hop spécifique se développer, l’originalité de chacune passant bien évidemment par l’utilisation d’une langue étrangère aux pionniers US.
Et c’est là que le bât blesse pour le rap anglais qui n’arrive pas à se démarquer par ce biais de son pendant transatlantique et souffre en conséquence d’une comparaison permanente. Ne pouvant miser sur une différenciation linguistique pour surprendre le public et attirer la curiosité des médias, les musiciens urbains anglais se sont peu à peu tournés vers d’autres styles pour agrémenter leur hip hop et ont alors créé des hybrides, entre culture club « so british » (jungle/house en tête) et rap. Ces expérimentations variées ont donné naissance à des mutants comme Dizzee Rascal ou Roots Manuva (et le label Ninja Tune) qui bien que possédant des flows de qualité, pratiquent un style aussi bâtard pour les puristes, que les prods « digitales » reproduites à l’infini dans le monde entier.
Le groupe londonien The Brotherhood n’a quant à lui pas pris de chemin de traverse pour entamer une carrière sur son île et, plutôt que de s’enfermer dans un particularisme régional, tente de rivaliser avec les USA sur leur terrain, à savoir le rap de B-Boy. Au début des années 90, et comme beaucoup d’autres à travers la Grande-Bretagne (Gunshot et Hijack par exemple qui s’inspirent musicalement de Public Enemy ou de NWA), ils appliquent à la lettre les recettes de leurs cousins d’Amérique et piochent leurs influences chez les Beatnuts ou Cypress Hill en réalisant un album honorable (« XXIII » en 1993) mais sentant un peu le réchauffé avec ses beats uptempo.

L’aventure continue pourtant et le trio poursuit sa démarche pour finalement proposer ce « Elementalz », l’un des premiers albums d’un groupe anglais purement hip hop à sortir sur une major. En 96, le rap se veut lugubre et réfléchi, le trio nous concocte donc des ambiances sonores en conséquence, proches du  Boot Camp Click, pour les plus intéressantes, et plus largement du boom bap des 90’s (« On The Move », « Nominate »). Mais plus que chez le crew de Brooklyn, c’est du côté d’ Organized Konfusion que la filiation doit être recherchée (cf. le sample de basse de « Goin’ Undaground » déjà entendu dans le « Why? » des new-yorkais), non seulement à travers l’utilisation de basses jazzy et vrombissantes, mais aussi par cette volonté de transcender un genre très codifié par  des apports personnels. Ici la versatilité des flows n’est pas la qualité première puisque la façon même de prononcer les mots suffit à donner aux morceaux une coloration particulière (entre syllabes pointues à la mode cockney et flexibilité ragga), typique d’ Outre-Manche, et revendiquée dans le très classique « British Accent » comme marque d’authenticité face aux rappeurs singeant les Américains. The Brotherhood expose en outre dès le track d’ouverture sa multi-ethnicité, chose assez rare au pays de l’Oncle Sam où une telle association entre juif (Shylock), noir (Spyce) et asiatique (?) (Mr Dexter, le DJ), qui passe inaperçue en Europe, serait un instrument marketing puissant et placerait le groupe hors de la sphère hip-hop pour le faire entrer dans celle de « l’alternatif » (cf. le statut des The Goats durant leur courte carrière).

La force de ce disque réside donc principalement dans les références utilisées. Par les rappeurs tout d’abord qui, dans des textes souvent bien élaborés (le mélancolique « One Shot » unissant chantonnement et beat carré ou le surréaliste « Alphabetical Response » qui prône le dialogue face à la violence) font la part belle à la culture pop britannique aussi bien qu’aux scènes de rue. La conception musicale, confiée à The Underdog (Trevor Jackson, patron du label electro/arty Output), se fait expérimentale en samplant des sons étonnants chez les progressifs King Crimson pour l’ambiance étrange de « One » ou Malcolm Mac Laren pour le très pêchu « Mad Headz ». Il en est de même pour ces samples indéfinissables du jazzman Kazumi Watanabe qui habillent « One Shot » et le clavier inquiétant emprunté aux psychédéliques Soft Machine donne sa saveur ouatée à « Clunk Click », sur fond de pluie londonienne.
The Brotherhood n’oublie pas pour autant de faire allégeance au monde du hip hop dans ses instrus puisque les scratches invitent Gravediggaz sur « Nothing In Particular », Masta Ace sur « You Gotta Life » ou Black Moon sur « Incredible ».

Cet éclectisme « européen » posé sur une base underground typiquement yankee, que The Brotherhood portera encore en 98 sur le maxi « Dungeon Town » avant de tomber dans l’oubli, fonde l’archétype d’une certaine idée du rap anglais qu’une grande partie de la scène britannique contemporaine a fait sienne. « Elementalz » est donc une preuve marquante (l’album est un classique en Angleterre) que l’on peut réaliser des disques à la hauteur des Américains sans pour autant copier totalement leur son, leur discours et leur attitude. Certains, dans nos contrées, pourraient s’en inspirer dès aujourd’hui…

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